Les bibles dégénérées de Takako Araki

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Takako Araki,Bible de pierre, 1981, 16.5×28×20cm, Kikuchi Collection (Photographe: ITO Yuji)

Bibles d’argile rescapées des affres du temps, de la moisissure, du feu : l’artiste céramiste Takako Araki (1921-2005) a fait de ces blocs puissants et tout aussi fragiles des pièces lourdes de sens. Quelques bribes de phrases imprimées parsèment les pièces aux pages calcinées, rongées, détériorées. S’y devine l’humidité qui aurait gondolé les pages de papier bible, l’odeur du papier brûlé, devenu presque cendre, le froid qui aurait gelé les bibles devenues galets. Les feuillets de glaise, presque aussi fins que du papier bible et paraissent menacer de s’effriter au moindre contact, la céramiste les a inséré un à un dans le livre qu’elle crée, à la pince à épiler. C’est souvent déposées sur une couche de sable comme si elles venaient à l’instant d’être retrouvées, déterrées à la manière d’un objet archéologique qui referait surface après des centaines d’années, que ces œuvres ont été exposées. La technique de cuisson enfumée accentue l’aspect de vestige et aucune pièce n’échappe à l’ombre, à la trace noircie, pas même sa Bible blanche. Avec ces objets à la fois fragiles et résistants à toute épreuve, Araki a fait de la bible un nouvel objet de Vanitas, puisant dans ses douloureuses batailles intérieures avec la foi chrétienne. Née dans une famille originaire de Nishinomiya, près d’Osaka, Araki aura près de vingt ans durant travaillé presque exclusivement à ce projet, qu’elle mûrit après la mort en 1978 de son frère atteint de tuberculose et fervent croyant et les doutes envers la croyance familiale jusqu’à l’éclosion de son athéisme enveloppent ces œuvres. Si la dégénérescence de ces livres saints offerts aux caprices des éléments est au cœur de son projet, d’autres pièces insistent plus sur la matérialité de l’objet-livre, s’éloignant de la représentation du livre : la Bible d’eau par exemple devenue petite flaque dans le sable ; la Bible de pierre, tel un morceau de roche ; la Bible gelée, un galet fossilisé. Avec Témoignage de la bombe atomique c’est une bible noircie et dévastée par les radiations, allusion aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, qui se révèle. « Pour moi, faire la série des bibles fut un moyen de tenter de résoudre le problème de savoir qui je suis, ce que je suis »: de son propre aveu, ces Bibles sont des Works of self-dissection, des « ouvrages d’auto-dissection ». Autrement dit, de la céramique à cœur ouvert.

Takako Araki, Bible de pierre, Céramique et impression lithographique, 15,5 x 21 x 16 cm (Vente Koller, Zurich, décembre 2016)
Takako Araki, Bible dégénérescente (détail), 1993, porcelaine, 7 x 17 x 14 cm, Everson Museum of Art, Etats-Unis (Don de l’artiste)


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